Évoquer le changement et la gestion des risques est récurrent aujourd’hui dans les entreprises. De nombreuses solutions sont proposées par une myriade de consultants qui offrent, « clé en main », LA solution !! Partageant l’autre jour un repas avec des responsables d’une grande entreprise romande, ils évoquaient même qu’une première solution créative serait un algorithme qui puisse détecter les propositions d’aide de ces consultants…et les éliminer d’un clic. Magique !
Étant moi-même consultant, cette affirmation a eu plusieurs résonances ; j’ai réalisé que pour ces professionnels, ces assauts commerciaux généraient d’abord un manque de fiabilité envers ce qui vient de l’extérieur…et cette réaction légitime offrait finalement une clé extraordinaire pour identifier les talents et les trésors qui se trouvent à l’intérieur de l’organisation. Tel est notre slogan :
« Think the box ! »
La fiabilité est la plupart du temps associée au risque. Un auteur que je trouve révolutionnaire, Karl E. Weick professeur de psychologie et en sciences de l’organisation à la Ross School of Business de l’Université du Michigan, propose une vision différente : « la fiabilité est un non événement dynamique ». Pour lui, une organisation fiable est un environnement où des personnes vivent des événements et à partir desquels vont naître toute une série continue de changements, d’ajustements et de gestion de régulations. J’ai d’ailleurs retrouvé cette vision dans un article paru il y a quelques semaines après le drame d’Arolla où de nombreux alpinistes avaient perdu la vie, dont le guide. Christian Morel, un ancien DRH de grands groupes français vient de publier un livre dont le titre a retenu toute mon attention : « Les décisions absurdes III ». Il s’est intéressé aux guides de montagnes et démontre que le risque d’accident en montagne augmente si le guide ne crée pas suffisamment de communication dans le groupe, s’il ne donne pas à chacun la possibilité de dire ce qui lui semble anormal.
Cette posture est d’ailleurs développée comme une culture dans l’industrie aéronautique, une industrie devant gérer un haut niveau de risque et dont la viabilité porte essentiellement sur le « risque zéro ». Or il est passionant de voir que tous les membres d’équipage sont formés au « C.U.S ». Il s’agit d’un code qui, s’il est mentionné par un membre d’équipage, quelle que soit sa fonction, oblige un questionnement collectif. CUS est l’acronyme de : « I am Concerned and I feel Unconfortable about the Safety ». L’autorité de tout acteur se prend ici non pas en tant que personne, mais au nom d’une mission : la sécurité du transport aérien.
Premier postulat : L’autorité s’exerce dans le cadre d’un processus contradictoire où chacun a la parole.
Une étude passionnante de Roberts (1990) sur les facteurs de fiabilité des organisations hautement fiables a proposé l’hypothèse de « performance anormale » en démontrant un décalage entre le très haut niveau de risque et l’inexistence d’erreurs fatales. Pour faire simple, c’est comme répondre « des centaines de fois » à la question : « combien de fois cette organisation aurait-elle pu commettre des erreurs ayant des conséquences dramatiques ? ». Cette fiabilité repose sur un mode de fonctionnement extrêmement stable, en regard de procédures hautement standardisées qui structurent l’ensemble de l’organisation par des routines. Et ce type d’organisation aujourd’hui fort répandue repose sur des activités fortement couplées, soit des activités interdépendantes les unes des autres qui ne laissent pas d’espace de manœuvre et de décision aux acteurs.
Dans cette perspective, on peut déduire que la fiabilité est prise à son propre piège : l’accroissement de fiabilité peut conduire le système à devenir encore moins fiable précisément à cause d’un accroissement de complexité pouvant induire des interactions inattendues.
Prenons l’incroyable événement de l’amerrissage sur Hudson River du vol 1549 de l’US Airways le 15 janvier 2009. Le commandant Chesley Sullenberger a réalisé un exploit en organisant de « l’inattendu », sauvant ainsi les 155 passagers de l’A 320: refuser toutes les options procédurales prévues que lui propose la tour de contrôle dans une telle situation et improviser – avec la coopération de la tour de contrôle – un amerrissage en plein NYC sur la seule surface plane ne présentant pas de danger pour autrui : Hudson River.
Quels sont les faits alors ? Lors du décollage de l’aéroport international de LaGuardia, l’avion percute un groupe de bernaches du Canada, ce qui provoque la perte de puissance des réacteurs et oblige le pilote à mettre en œuvre une procédure d’urgence face à Manhattan. Le vol a duré cinq minutes et huit secondes et l’accident n’a fait aucune victime. Or l’enquête de la NTSB durera dix-huit mois et mettra durement en cause les décisions du Commandant. Pourquoi ? De nombreuses simulations ont été effectuées et démontraient, dans un premier temps, qu’il y avait assez de temps pour atterrir selon une procédure et donc, déduction fut faite qu’il avait pris des risques. Or, ce qui est magnifiquement montré dans le film « Sully » réalisé sur ce sujet, c’était omettre le facteur humain; à savoir l’accueil de la surprise, l’évaluation, l’improvisation et le bricolage qui ont pris un temps supplémentaire et nécessaire. On retrouve les termes chers à Weick. L’improvisation. Car le Commandant Sullenberger qui était formateur pour les pilotes s’est d’une part inspiré de nombreux incidents et options prises par ses pairs et, d’autre part, pratiquant le vol à voile il a piloté l’A320 comme un planeur, avec toute la dextérité que cela demandait.
Deuxième postulat : Un système ne peut pas traiter de situations inattendues s’il est doté uniquement de routines invariantes.
Ces développements m’inspirent pour proposer et réfléchir au développement d’autres modalités de formation. La recherche de fiabilité est pour l’équipe d’Axiome-Change une opportunité d’explorer et d’apprendre de manière différente. Pour Weick, les organisations qui vont à la catastrophe sont celles qui n’auront pas réussi à maintenir un système d’action organisé sous l’influence d’une situation inhabituelle. C’est donc la qualité des connexions entre les personnes qui va définir la qualité des interactions, car les personnes ne considéreront pas une crise ou un choc comme étant traumatisant. Ils vont au contraire faire face à cette discontinuité et réussir à développer de nouvelles solutions tout en maintenant des relations de confiance. Ce qui est en jeu est notre identité. Et il y a je crois un lien étroit entre l’effondrement des interactions humaines et la perte de sens. Notre approche du Return On Community (ROC) offre une prise de distance avec la structure pour se focaliser sur l’organisation qui se génère dans l’interaction. L’unité de base selon Weick qui permet « un échange de subjectivité c’est-à-dire une synthèse de sens dans le face à face ».
Il n’est donc plus question nécessairement d’outils mais d’une attention aux capacités humaines présentes dans l’organisation, sources d’improvisation et de créativité. L’objectif du ROC est dès lors de développer la conscience collective pour discriminer puis agir.