Steve Jobs, un manager colérique. Surnommé « Hero-Shithead-Roller » (littéralement : « chieur de première ») par ses équipes, Steve Jobs n’était pas connu pour être un entrepreneur sympathique avec ses employés. Au contraire, selon Deborah Coleman, l’une des premières gestionnaires de l’équipe Mac, « il hurlait souvent pendant les réunions, « bande de nuls, vous faites de la merde » quand quelque chose ne lui plaisait pas. » Ce n’était jamais dans la demi-mesure avec lui : autoritaire, impatient et l’obsession de tout vouloir contrôler sont autant de traits de sa personnalité qui font de lui un très mauvais manager. A ne pas reproduire, donc !
source : www.dynamique-mag.com
Mes activités d’enseignement académique et de recherche avec des étudiants avides de découvrir tout en étant frileux de sortir de leur zone de confort se conjuguent avec les rencontres de magnifiques personnes et professionnels engagés au quotidien dans leur entreprise. Quel que soit le contexte, je me trouve face à des acteurs en tension entre leur désir de développement ou/et de management et une réalité organisationnelle ou une culture entrepreneuriale différente.
Dans les deux cas, j’expérimente mon rôle de coach de la transition. Je cherche à ne pas oublier de penser ce genre de problématique organisationnelle à travers le prisme de la complexité ! Edgar Morin aborde cette notion de manière dynamique : « relier…est le problème de la complexité » ! Je donne sens à cette affirmation avec cette approche cognitive : une histoire de connaissances et de mode de penser.
Les entreprises doivent aujourd’hui faire face à la constance de la rapidité des changements. Qu’il s’agisse d’actions développées à l’interne ou à l’externe, que la source soit l’approche différente par les jeunes employés de la notion du travail ou que les industries doivent faire face à de nouveaux défis, cette « réalité » requiert, de mon point de vue, une gestion non plus des personnes mais des actions. Si l’incertitude est le signe de notre difficulté à comprendre, cette approche introduit de manière créative la question de l’erreur, trop souvent perçue comme une menace à l’équilibre des choses. Considérer la complexité, c’est chercher à comprendre toutes les réalités, c’est imaginer tous les aspects d’un même phénomène, soit oser l’exploration entre l’ordre et le désordre. Et c’est justement à la frontière entre ce besoin d’ordre et cette peur du chaos que les véritables changements peuvent s’opérer. Au sens d’une modification de la pensée !
Revenons à Steve Jobs. Il était certes un génie dans le marketing et il a sans conteste innové en la matière ! Il a réussi à générer une nouvelle dimension de la « communauté ». Apple a su lier un facteur social chez leurs clients, source d’identité et de motivation interne, avec une marque dont le slogan est et reste encore aujourd’thui « think different » !
Cependant, les faits cités plus haut démontrent que Steve Jobs ne semble pas vraiment avoir autorisé le développement de ce que nous appelons aujourd’hui l’intelligence collective au sein de son entreprise ; à savoir soutenir et accompagner ses équipes comme étant des organismes cohérents, responsables et intelligents. Robert Sutton, professeur de management à la Standford Engineering School, a démontré par ses études qu’il s’agit, selon ses termes, d’un « con », au sens académique s’entend ! Soit une personne certes compétente, mais invivable. Cette personne, incapable de se maîtriser, a un dénominateur commun : elle blesse, exaspère, humilie, démoralise et génère de la peur, quelle que soit notre fonction.
Mais alors, comment développer une organisation propice et ouverte à l’émancipation des personnes et des talents dont on sait qu’elle favorise de l’efficience et de l’innovation ? Cela revient à viser un « objectif zéro sale con » en entreprise selon Suton !!
Développer, innover…des termes bien à la mode ! Ils ont pourtant un corolaire : perturbation. L’ordre et le désordre sont partout et tout le temps dans la nature. Et donc j’apprécie tout particulièrement cette vision « organique » de l’entreprise, car elle s’oppose à UNE vision illusoire et fort réductrice du contrôle continu d’un processus. Comme les acteurs ne vont plus être soumis à un contrôle des personnes le but sera qu’ils adhèrent à un contrôle des actions, c’est-à-dire qu’ils puissent donner du sens à leur interdépendance grâce à la diversité des compétences en présence. Le but est qu’ils mobilisent de manière efficiente leurs connaissances et leurs compétences individuelles et ceci est facilité s’ils sont connectés avec la raison d’être de leur organisation !
Ce n’est donc qu’en se sentant connecté à d’autres personnes que le sentiment d’appartenance peut vraiment s’établir entre les membres d’une organisation ; qu’ils soient à l’interne ou à l’externe.
Le mode opératoire pour toute personne responsable d’une organisation consiste alors à passer de la motivation individuelle à celle collective. C’est quand les forces initiales vont dans le même sens qu’elles ont le plus de chance de s’additionner et de se combiner dans une action collective efficace. L’équipe peut alors devenir réellement supérieure à la somme de ses parties.
Ce changement de perspective demande un équilibre et une flexibilité des « modes » de management. Je crois même que cette flexibilité est surtout cognitive : une sorte de jeu dans sa propre tête…une compétence qui permet de jouer avec différentes représentations, différentes manières de penser, de s’exprimer ! Ma collaboration avec des comédiens qui sont devenus des amis chers, également spécialistes de l’improvisation et de la communication créative, a renforcé ce sentiment. Comme le montre bien des schémas en management, il ne s’agit plus d’être dans tel ou tel bloc, mais bien plus d’être capable de passer de l’un à l’autre, en fonction des besoins de l’environnement !
Pour pallier les limites des modes de gestion mis en évidence depuis une décennie, plusieurs auteurs ont défini nécessaire l’avènement d’une nouvelle forme de gestion, davantage axée sur l’apprentissage collaboratif et le partage du pouvoir (Argyris, 1982; Senge, 1990).
Un tel mode de gestion se manifesterait avec ses subordonnés, ses collègues ou ses supérieurs par un souci de remettre en question et de transformer les façons de voir, de penser et d’agir qui freinent le changement ou l’apprentissage, par l’articulation de visions partagées, ainsi que par la reconnaissance des compétences, de l’autonomie et du leadership de chacun. D’un point de vue théorique, tout le monde est assez d’accord ! Sur le terrain, ce que l’on constate c’est que les gestionnaires sont rarement habilités à gérer sous un mode apprenant (French & Grey, 1996). Ces écarts, ces mises en tension sont des opportunités pour réimaginer une manière commune de penser et d’agir.
Il ne s’agit pas seulement d’un positionnement ; j’ai la conviction qu’une culture d’entreprise doit être considérée comme une ressource ! Et, d’un point de vue organique, en portant une attention à la biodiversité des ressources je considère que l’entreprise n’est en soi pas uniforme. L’uniformité est un pur concept de la production économique. L’émergence d’une diversité offre une manière différente de gérer les activités. « Ouvrir son esprit » comme le propose Otto Scharmer (2009) pour développer de nouvelles approches de collaboration, c’est considérer d’autres modalités culturelles, en n’omettant pas que le commun se définit à partir des écarts. A l’université, les profs ont malheureusement une forte tendance à ne pas apprécier les extrémités de la courbe de Gaus : les mauvais et les excellents étudiants !
Or, penser c’est explorer ! C’est oser s’écarter de l’uniformité. C’est s’autoriser à exprimer qu’il n’y a pas une culture dominante. Donc les « cons » mettent tout en œuvre pour éviter le dialogue. Synonyme de « tension créative », le dialogue crée l’organisation. On ne doit pas se reposer seulement sur des valeurs formulées trop souvent comme une vitrine, bonnes à présenter la société sur la première page du site internet. En écoutant François Jullien à la radio, j’ai réalisé que le propre de la culture est de « muter » ; c’est-à-dire de se transformer pour ne pas mourir !!!
Cela donne une autre vision du changement, ne trouvez-vous pas ? En s’inscrivant dans une perspective d’évolution, l’enjeu devient alors d’expliciter des convictions (dialogue) et non plus seulement des positions (débat).
On comprend dès lors pourquoi Fisher, Rooky & Torbert (2000) ont démontré à travers leurs recherches que l’apprentissage collaboratif constitue l’action la moins bien comprise et la moins bien pratiquée en gestion. Je postule que les managers de demain seront ceux qui seront capable de penser les opposés complémentaires ; soit les personnes capables de dire un « oui et » et non plus un « oui mais » … qui au fond signifie un non courtois.
Dans la tension je maintiens l’autre en regard, en tension …pour produire du commun. Serait-ce une nouvelle option de gestion que de prioriser ce qui est « entre » ? Car c’est dans « l’entre » que se passe la vie.