Négocier un nouveau projet ou un changement avec votre équipe n’est pas une option. Mais vous pouvez en faire une opportunité ! Négocier en amont – et non en aval – d’une décision favorise la collaboration et évite des erreurs de conception : en résulte un gain de temps, d’énergie et d’argent. Nous pouvons faire de nos collaborateurs des pointeurs de failles ou des créateurs de solutions ! Que choisissez-vous ?
« Notre plan était super ! Bien ficelé, intelligent, il promettait des améliorations tangibles, une réponse efficace à ce nouveau défi et un avantage concurrentiel important ! Puis on l’a présenté à notre équipe… qui s’est immédiatement opposée. Pourtant, nous avons largement communiqué sur les avantages de notre solution. Rien à faire, nos collaborateurs se montrent passifs quand ils ne mettent pas les pieds au mur. »
Dans cette situation, nous observons habituellement les réactions suivantes :
- Le Positif : « Nous allons les convoquer pour leur expliquer encore une fois le plan… »
- L’Énervé : « Nous avions raison de ne pas leur demander leur avis ! Je ne sais plus quoi faire pour les motiver, une équipe de bons à rien ! Il faut que je serre la vis ! »
- Le Soft : « Nous n’avons pas pris le temps, le changement était trop brusque, la communication a fait défaut. »
- Le Coupable : « Le projet n’était pas bon. Il faut reprendre depuis le début »
- Le Résigné : Finalement, faisons comme avant, ne changeons rien !
Bref, ça patine ! Le projet prend du temps à se mettre en place, se modifie sans réelle stratégie, les tensions augmentent, l’équipe et la direction sont frustrés. La structure et les clients y perdent.
Alors comment faire autrement ? Nous vous proposons de vous libérer de trois croyances erronées pour développer la collaboration avec votre équipe, mieux concevoir vos projets et les faire aboutir avec plus de succès !
Nous avons besoin de nos équipes et c’est une chance
La première consiste à penser que la négociation est facultative, à savoir qu’une direction peut faire faire ce qu’elle désire à son équipe point final. Cette croyance repose sur une conception erronée des organisations : le fantasme d’une direction toute puissante, d’une tête pouvant faire faire ce qu’elle veut à ses membres. Or chacun de nous a déjà fait l’expérience de la limite de l’emprise mentale sur ses membres. Ma tête veut absolument rattraper le bus sur le point de partir. Je me vois aller plus vite qu’Usain Bolt. Mais… mes jambes et mes poumons me ramènent au réel et je m’arrête à 100 mètres de l’arrêt, à bout de souffle… Abandonner le fantasme de la toute-puissance, peut être frustrant, certes, mais vous n’avez pas le choix. Nos organisations sont à l’image de notre corps. Une tête ne fera jamais bouger ses jambes plus vite qu’elles ne le peuvent. Nos membres rappellent notre tête au réel !
Cette vision romantique d’une tête toute puissante induit une autre idée malicieuse : le rôle des membres est d’exécuter ce que leur commande (intelligemment) ma tête. Or, mes jambes ont des capacités que ma tête ne possède pas ! Elles calculent de façon autonome et en temps réel les variations du terrain pour prendre un appui adéquat. C’est une chance ! Mes jambes continuent de marcher quand mes pensées sont prises ailleurs, que je regarde mon téléphone ou que je discute avec mon voisin. J’ai tout intérêt à mettre ces compétences à profit. De même, mon équipe sait faire des choses que n’importe quel manager serait incapable d’émuler ! Tant mieux ! Profitons-en !
S’inspirer du design et gagner du temps
La prise en compte de votre équipe est donc inévitable. Mais bonne nouvelle, elle constitue une opportunité. Pour concrétiser cette opportunité, il est nécessaire de mener la négociation en amont de la décision. Nous sommes pollués par une deuxième superstition qui attribue une perte de temps aux délibérations collectives. Or dans les processus de création, toute information supplémentaire – contraintes ou opportunités – intégrée lors de la phase de conception fait économiser un temps considérable lors de la phase de développement et d’implémentation ! Les techniques de design : prototypage, sprint design, web-développement en sont des exemples opérationnels inspirants ![1] Il y a donc un avantage certain à impliquer son équipe – les spécialistes du terrain – dès le début de la conception. Leurs expertises, les informations dont ils disposent et leurs regards critiques permettent de déceler des erreurs de conception avant la réalisation et assurent ainsi un gain de temps, d’énergie et d’argent sur l’ensemble du processus.
Engager vos équipes dès le départ, elles s’engageront de plus en plus
En troisième lieu, nous sommes victimes d’une mauvaise compréhension de la relation entre nos comportements et nos convictions. Nous imaginons que convaincus qu’une chose est bonne, nous adaptons nos comportements en conséquence. Or c’est l’inverse : nous adaptons nos convictions à nos comportements ! Selon Léon Festinger[2] : Nous sommes des êtres rationalisants et non rationnels. Nous nous trouvons des excuses et adaptons nos idées à nos comportements parce que nous recherchons la cohérence. Par ailleurs, Joule et Beauvoir mettent en lumière la gradation de l’engagement : une personne ayant eu (ou été amenée à avoir) un comportement est plus susceptible qu’une autre de le répéter à plus grande échelle.[3] Ainsi, si votre équipe a été amenée à collaborer et à trouver des solutions dans la première phase du projet, elle répétera ce comportement par la suite. En collaborant, votre équipe valorisera de facto cette compétence et l’intègrera naturellement à la culture du groupe, ce qui constitue un avantage important pour tous les projets à venir !
La séquence observée dans l’intro est le fruit de ces trois croyances erronées :
- La direction élabore et décide seule, s’amputant ainsi des informations et expertises de son équipe.
- Elle communique sa décision à son équipe et lui explique les raisons de réaliser le projet pensant que cela suffit à la faire adhérer et à lui faire adopter des nouveaux comportements.
- S’engage alors un processus de négociation. La direction tente de convaincre son équipe pour essayer de faire advenir un projet le plus proche de celui né sur papier, alors que ce dernier est déjà dans sa phase de déploiement.
A l’inverse, une négociation en amont de la décision permet de déceler les opportunités et contraintes du terrain dans la phase de conception, ce qui permet des ajustements à moindre coût (temps et argent) tout en favorisant une dynamique d’engagement de la part de l’équipe.
Négocier et collaborer avec son équipe ne signifie pas nier le rôle du responsable. La décision et la responsabilité qui y sont liées restent de sa compétence. Ce qui est remis en jeu, c’est le processus de fabrication de la décision ! La négociation porte sur le projet, sa faisabilité, ses implications pour les différentes parties-prenantes, ses effets secondaires, sa portée et son intérêt pour l’organisation. Une négociation n’est pas une pondération des intérêts des uns et des autres, mais une prise en compte des différents points de vue qui permet de mieux comprendre la situation. On ne négocie pas les intérêts des parties-prenantes, on enrichit le projet.
En résumé, négocier n’est pas une option. L’accepter ne remet pas en cause votre statut de responsable. Le faire en amont de la décision vous assure des gains de temps, d’énergie et d’argent pour vous, pour le projet, pour vos collaborateurs, pour votre structure et vos clients. Car si négocier en aval de la décision, c’est fabriquer de la résistance, négocier en amont permet de fabriquer de la collaboration !
Nous pouvons faire de nos collaborateurs des pointeurs de failles ou des créateurs de solutions !
A nous de choisir !
Notes:
[1] Notamment, les travaux de Otto Scharmer, la design attitude présentée par Osterwalder et Pigneur ou le sprint design : https://www.design-sprint.com/decouvrir-le-design-sprint/
[2] Festinger (1957) Une théorie de la dissonance cognitive, Trad. française (2017) par Hélène Vassine, Paris.
[3] Joule et Beauvois (2014) Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, Grenoble.